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regard circulaire à la chambre, regard qui finit par se poser, immobile, sur le cadavre de la victime allongé au sol. Il a beau être parfaitement conscient que cela est absolument inutile et probablement aussi inconvenant – et puis cliché également, mais ça, il s’en fout, il a passé l’âge de former sa pensée en fonction de ce qui épatera ou non les imbéciles –, il ne peut s’empêcher de songer que c’est triste au-delà de tout une vie si jeune qui s’arrête brutalement. Toujours cliché, il ajoute, de nouveau pour lui-même, que si la plupart du temps il ne fait pas un sale boulot, il bosse néanmoins le plus souvent dans des endroits sales, ou que la situation rend sale du moins. Aussi, l’élémentaire logique exigerait que, comme le légiste, il sache suffisamment distancier toute cette saleté pour s’en protéger – il dit ça mais il n’y croit pas tout à fait : si ça trouve, avant d’aller rejoindre bobonne au pieu, le brave type a vomi dans ses chiottes comme deux fois par semaine depuis trente ans qu’il a commencé sa médecine –, il se dit qu’il serait plus raisonnable de ne pas imaginer cette jeune fille debout, marchant, parlant, souriant, lisant un de ces livres, écoutant un de ces CD, buvant un de ces vins, attendant dans un aéroport un avion pour Saint-Pétersbourg, Montréal ou Tokyo, sauf que le légiste dissèque les corps morts quand lui travaille sur des humains vivants et qu’il sait trop bien par expérience que s’il veut faire correctement son boulot, ça va être difficile de ne pas ressusciter un peu celle qui, jusqu’à en visant large entre 16h30 et 18h cet après-midi, était autre chose que l’objet d’une enquête de flagrance pour homicide. Il va falloir passer du temps avec elle, lui parler, lui demander ce qu’elle avouait sans peine, découvrir ce qu’elle tenait à tout
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